Quand on parle de formation de l’esprit critique, il est utile de se souvenir que notre cerveau fonctionne par approximation et raccourcis et qu’il nous expose donc à l’erreur. C’est d’autant plus le cas quand nous ne disposons que d’informations partielles et/ou de connaissances très limitées sur un sujet.
Pourtant, nous rappelle Albert Moukheiber, docteur en neurosciences, nous aimons croire que nos croyances et opinions sont justifiées car il est désagréable d’avoir tort. Pour déterminer si nous avons raison d’être sûrs de nous, Moukheiber conseille d’attribuer un indice de confiance (à travers un pourcentage de fiabilité) à nos croyances et nos opinions – aussi bien celles que nous avons depuis longtemps que celles que nous venons de former.
Le but de ces indices de confiance est de savoir à quel moment douter, et à quel moment nous faire confiance en adoptant un mode de pensée graduel (j’en sais beaucoup / j’en sais peu) plutôt que binaire (je sais / je ne sais pas).- Albert Moukheiber
Moukheiber et ses collègues neuroscientifiques de l’association Chiasma ont mis au point une boîte à outils pour évaluer le niveau de fiabilité des informations que nous recevons et auxquelles nous sommes susceptibles de croire (inspirée par les travaux de l’astronome Carl Sagan). Ces outils peuvent être utiles dans le cadre de la formation de l’esprit critique à l’école (élémentaire, collège, lycée et études supérieures).
N°1 : se méfier d’un argument ad hominem, c’est-à-dire d’une attaque dirigée contre une personne uniquement en vertu de son titre ou de son statut.
Exemple : Marine Le Pen, lors du débat d’entre-deux-tours qui l’opposait à Emmanuel Macron en 2017, a été la championne de l’ad hominem : avant d’attaquer son adversaire sur son programme électoral, la candidate l’a accusé d’être « l’enfant chéri du système et des élites », « Hollande junior », « le candidat de la mondialisation sauvage »… Donald Trump utilise régulièrement la même technique : en 2016, sur Twitter, son argument contre Mitt Romney, l’un de ses plus sérieux opposants au sein de son propre camp, était qu’il marchait « comme un stupide oiseau qui boîte » (« like a big dumb bird ») !
N°2 : attention aux arguments d’autorité. Lorsque quelqu’un met en avant son rang, sa position ou sa profession, il faut étudier le bien-fondé de son argument comme s’il était avancé par une personne lambda.
Exemple : À la fin de son premier mandat, en 1970, Richard Nixon gagne la faveur des électeurs américains en promettant qu’il savait comment mettre fin à la guerre très impopulaire du Viêtnam, sans expliquer comment il comptait s’y prendre. Il a joué de son statut de président pour persuader les Américains de voter pour lui, alors que la recrudescence des bombardements américains au Viêtnam entrait en contradiction avec ses promesses de campagne.
N°3 : repérer les fausses analogies, les arguments qui reposent sur un parallèle entre deux choses ou deux situations qui ont si peu de points communs que leur comparaison est injustifiée.
Exemple : Durant les élections présidentielles de 2017, Jean-Luc Mélenchon a par exemple déclaré : « Je ne suis pas pour un code du travail par entreprise, comme je ne suis pas pour un code de la route par rue. » La formule est séduisante, mais elle ne doit pas faire oublier que, dans le fond, il n’y a pas grand-chose à voir entre le code de la route et le code du travail.
N°4 : ne pas céder à l’appel à l’émotion.
Exemple : dire qu’aujourd’hui, en France, nous ouvrons les frontières à tout-va, que nous voulons accueillir toute la misère du monde alors que des millions de Français sont au chômage, ou vivent en dessous du seuil de pauvreté… Le but de cette argumentation est de susciter une émotion forte (souvent la peur ou la colère) pour déclencher une réaction viscérale qui conduira à adhérer plus facilement à certaines idées sans réelles preuves factuelles.
N°5 : préférer la preuve scientifique à la preuve anecdotique qui consiste à tirer une conclusion générale d’un fait ou d’un exemple isolé.
Exemple : Dire « Il faut interdire les jeux vidéo de guerre, car un étudiant a agressé ses camarades après y avoir joué. » Cet énoncé ne prend pas en compte tous les autres adolescents ayant joué au même jeu sans pour autant avoir braqué une arme sur leurs congénères. De plus, cet énoncé n’explicite pas le lien de cause à effet entre jouer à un jeu violent et agresser d’autres adolescents.
N°6 : éviter les fausses équivalences.
Exemple : ce n’est pas parce qu’un homme politique a commis des exactions qu’il faudra soutenir que toutes les figures d’autorité politique sont « pourries ». La nuance est de mise.
En tant qu’enseignants (et parents), nous pouvons adopter ces outils de pensée critique et les enseigner aux élèves afin de former leur esprit critique pour plus de flexibilité mentale et de résistance aux infox, théories du complot et autre négationnisme.
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Source : Votre cerveau vous joue des tours de Albert Moukheiber (éditions Allary )